Le double visage du numérique

Quels sont les effets potentiels de l’irruption du numérique ?

En fait le numérique présente un double visage : il permet soit de décupler les énergies libérées, soit de renforcer significativement les procédures tayloriennes

Si leur utilisation est co-organisée directement avec les salariés et non pas par une hiérarchie qui continuerait à contrôler les salariés, l’effet est très bénéfique sur le bien-être au travail et donc sur la performance de l’entreprise (à signaler que lorsqu’ils sont interrogés collectivement et directement, ils critiquent l’entreprise taylorienne et souhaitent une flexibilisation de leurs organisations et un enrichissement des tâches).

Si elles servent à renforcer les contrôles sur les salariés et à continuer à diviser les tâches et parcelliser le travail, alors l’effet économique est faible, avec, à terme un impact très négatif sur l’activité et désastreux sur l’emploi (à deux titres, d’une part du fait d’une démotivation et d’un désengagement des salariés entraînant une baisse des résultats et donc des licenciements, d’autre part du fait de l’automatisation des tâches avec des robots toujours plus performants qui remplacent les salariés).

A titre d’exemple, prenons le cas de l’introduction d’un système CRM (Customer Relationship Management) chez les commerciaux

L’introduction d’un CRM permet de structurer l’activité des commerciaux pour améliorer leur efficacité (outil permettant d’enregistrer les visites chez les clients, leurs attentes et comportements, les relances à envisager avec les dates correspondantes, etc…).

Mais si son introduction vise également à contrôler les commerciaux pour leur dicter de nouvelles manières de travailler et être en mesure de vérifier leurs tâches et leurs tournées, alors la défiance induite va conduire à une perte de performance.

Le double visage du numérique : selon la façon dont il est mis en oeuvre, il permet soit d’alléger le travail (s’il est calé sur le développement de la confiance), soit de l’alourdir (s’il est orienté sur le contrôle des tâches)

Lorsque les applications numériques sont co-élaborés et co-adaptées avec leurs utilisateurs pour rendre leur travail moins lourd et plus opérationnel, en se centrant sur le « pour quoi » et le « pour qui » travaille-t-on, alors les outils développés apportent un « plus » particulièrement efficace pour améliorer les pratiques, renforcer la mémoire des actions entreprises et à entreprendre, automatiser des tâches récurrentes inintéressantes, etc, le tout accroissant de façon significative et régulière les résultats.

Il en va tout autrement si la hiérarchie renforce le contrôle sur les tâches à accomplir et accomplies, alourdit en permanence les exigences de reporting au détriment de la concentration nécessaire sur les clients, sur la qualité, sur l’auto-contrôle, accroît le temps passé à « renseigner » toutes ses demandes en segmentant de plus en plus le travail pour dominer le « comment », au détriment du « pour quoi » et du « pour qui », le tout dans le but d’accroître l’interchangeabilité des hommes au même poste (poursuite de la mise en œuvre d’un taylorisme rampant et d’une automatisation des tâches). Cela se fait au détriment de la confiance nécessaire à accorder aux intéressés, entraînant de facto une démotivation fatale pour les résultats (s’agirait-il de la baisse tendancielle des taux de profit chère à Marx ?).

Ajoutons à cette analyse que tout changement d’organisation non concerté induit une réaction de protection des différents acteurs

Notamment avec l’introduction des nouvelles technologies, tout changement d’organisation modifie les rapports de pouvoir entre les différents acteurs qui vont alors se protéger de la menace en essayant, le plus souvent, de conserver leur ancien système de fonctionnement et de saboter, consciemment ou inconsciemment, les progrès qui pourraient en résulter (notamment pour la collectivité).

Le numérique, on le voit, peut, selon son utilisation, apporter des simplifications et des allègements dans la charge de travail, ou, a contrario, accroître cette charge de façon inutile et stressante (reportings et procédures à respecter, recherche doublonnée et aléatoire d’informations sur les clients du fait du refus de la part des intéressés de partager les informations concernant leurs clients, concurrence inutile entre services, etc…) avec, in fine, une détérioration de la relation avec les clients et un impact négatif sur le chiffre d’affaires et la rentabilité.

Des grandes entreprises High-Tech dominatrices

Les grandes entreprises High-Tech de la Silicon Valley continuent globalement de reproduire le système taylorien tout en achetant par de très hauts salaires les compétences nécessaires et en donnant le change par le développement de conditions de vie agréables sur le lieu de travail (crèches, restaurant, laveries, boutiques, loisirs, etc.), mais les avancées technologiques restent la propriété des fondateurs, les véritables royalties ne sont pas partagées et le pouvoir continue d’être concentré dans la main des propriétaires fondateurs.

De plus, les données collectées (big data) sont utilisées voire revendues pour cibler des opérations de ventes, influencer des comportements, maintenir le modèle consumériste, concurrencer les entreprises dans tous les domaines, automatiser et robotiser les tâches et donc supprimer des emplois (ce qui n’est pas une mauvaise chose en soin, si on y substituait de nouvelles formes d’activité et de revenus, mais cela n’est pas le cas…). Sans compter que l’absence de remise en cause du modèle consumériste « jetable » est un risque majeur pour l’environnement.

Une remise en cause nécessaire de notre modèle de production

Si l’intelligence collective (la participation de tous ou encore la cerveaufacture) ne vient pas contrôler ces évolutions, alors il existe un risque non négligeable pour les libertés publiques (voir à cet égard le rapport du Conseil d’Etat et  l’invalidation par la Cour de Justice de l’Union Européenne le 6 octobre 2015 du « safe harbor » laquelle est une décision clé pour la protection des données).

Le domaine des objets connectés est particulièrement visé. A noter que les salariés de ces entreprises qui conçoivent, produisent et distribuent ces objets connectés, tous comme ceux qui les consomment risquent d’être piégés dans des systèmes d’information et d’échanges dans lesquels ils vont à nouveau être mis en position de mineur social (système taylorien) et donc inéluctablement s’ennuyer, et finir, en partie, par venir grossir les rangs de toutes sortes d’extrémisme…

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