Genèse du désir et de l’implication au travail

Depuis Socrate et Platon, on sait que l’on désire ce que l’on n’a pas, autrement dit ce qui nous manque. Et dès que ce manque disparaît, le désir s’évapore.

La philosophie de Schopenhauer, développe l’idée, désespérante, que l’homme (au sens générique incluant la femme) oscille toute sa vie entre souffrance (désir de ce qui manque) et ennui (de ce que l’on a).

Pour autant, si l’on se réfère à la relation amoureuse, il n’y a pas que des individus qui souffrent d’un côté (désir d’un ou d’une autre) et, de l’autre, qui s’ennuient (avec l’autre).

Il y a aussi des couples heureux, non pas qu’ils ne s’ennuient jamais, mais ils s’ennuient beaucoup moins parce qu’ils arrivent à jouir de la présence (et du corps) de l’autre. Par distinction avec la notion d’Eros les grecs nommaient une telle capacité Philia.

Le travail, entre souffrance et ennui

Il en va de la même façon pour le travail : le travail oscille entre souffrance et ennui quand il est strictement réduit, par construction juridique, au lien de subordination qui lie le contractant à son employeur

Cette construction juridique n’est rien d’autre qu’une transposition de la relation de travail construite progressivement depuis la révolution industrielle anglaise initiée dès 1750 en Angleterre notamment par Josiah Wedgwood, puis perfectionnée par Frederick Taylor, et généralisée au monde ouvrier avec un salaire décent par Henry Ford (c’est le fordisme), avant de s’étendre après les Trente Glorieuses et depuis le premier choc pétrolier à l’ensemble du tertiaire et de la matière grise

Après avoir été recherché, l’emploi remplit un espace qui s’appelle travail, lequel oscille, pour une très grande majorité de nos contemporains, entre souffrance (de ce que l’on souhaiterait faire dans son travail) et ennui (de ce que l’on fait effectivement), sauf pour ceux qui « se réalisent » dans leur travail : ceux-là jouissent de ce qu’ils font (c’est le cas d’une minorité de salariés appartenant souvent à ce qu’il est convenu d’appeler l’élite). Pour les autres, le désenchantement est la règle, puisqu’ils n’ont aucune capacité à jouir de leur travail (notamment en apportant une contribution créative et réelle en terme de valeur ajoutée). Le lien de subordination est le fruit consubstantiel du taylorisme, lequel élabore par construction une chaîne de commandement / contrôle (appelée management) qui régit l’organisation dite scientifique du travail.

C’est cette organisation soi-disant scientifique qui, en divisant le travail en tâches élémentaires (toujours plus décomposées) et en imposant une ligne hiérarchique, précipite ainsi la plupart de nos contemporains entre souffrance et ennui au travail.

Bruce Dévernois

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