L’enjeu enfoui de l’élection présidentielle : la qualité de vie

Si l’on veut sortir des discours, il faut prendre le temps nécessaire pour réfléchir, confronter ses idées et coconstruire un nouveau projet…

Une nouvelle approche concernant le traitement du travail émerge…

Selon Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT : « en tant qu’expérience subjective, physique, intellectuelle, le travail n’est pas discuté politiquement. Les débats sur le travail se focalisent sur d’autres aspects comme sa règlementation, son coût, sa compétitivité. C’est pourquoi, en marge des indicateurs économiques et du code du travail, la CFDT souhaite mesurer l’appréhension que les Français en ont, avec leurs désirs et leurs réticences ».

Dans ce cadre, la CFDT a lancé le 22 septembre 2016 une grande enquête sur le travail intitulée « Parlons travail ».

Plus de 200 000 personnes ont répondu.

Parmi les principales réponses on notera les suivantes :

  • plus de 42 % des gens souffrent du manque de reconnaissance
  • un peu plus de la moitié des salariés déclarent avoir une quantité de travail excessive (une source potentiellement de mal-être)
  • moins d’un travailleur sur trois a une charge de travail supportable sous tous rapports
  • 2/3 des salariés trouvent leur rémunération insuffisante par rapport à leurs efforts, mais l’argent n’est pas tout
  • parmi les travailleurs les moins qualifiés, 50% disent que le travail leur délabre la santé ; de plus moins nous avons le sentiment de liberté au travail, plus nous en ressentons les effets négatifs sur notre santé
  • l’autonomie est favorable à la santé, subir, avoir le sentiment d’être une machine, ravaler ses idées sont délétères
  • les syndicats ne sont jugés utiles que dans environ un tiers des cas
  • 72 % des répondants (salariés et non salariés) aimeraient participer davantage aux décisions qui affectent leur entreprise ou leur administration
  • 42 % des répondants estiment que la durée légale du travail n’est pas le problème

… la CFDT en tire deux conclusions principales

  1. la performance des entreprises et des administrations dépend fortement de la qualité de l’engagement des salariés et des agents. Qualité de l’engagement qui trouve son essence dans ce que vivent concrètement les travailleurs dans leur quotidien. La qualité du travail et la qualité de vie au travail doivent donc être un axe fort du dialogue social dans les entreprises et les administrations
  2. le monopole syndical doit être maintenu et le rôle des représentants des travailleurs devrait être renforcé pour peser sur la stratégie des entreprises

Nos commentaires

  • la première conclusion paraît très logique. On le verra, elle rejoint complètement les enseignements tirés de la Grande Marche, enquête également gigantesque réalisée par le mouvement En Marche ou encore les questionnaires menés dans des centaines d’entreprises depuis plus de 20 ans par le cabinet BDA.
  • par contre la deuxième conclusion passe à la trappe : celle qui consiste à tenir compte de l’avis des 72 % des répondants qui disent vouloir davantage participer aux décisions de leur entreprise ou de leur administration. Cela ne peut être traduit que par une relance tous azimuts du droit d’expression des salariés.
  • on pourrait même ajouter, de façon plus large, la mise en oeuvre d’un droit d’expression de l’ensemble des citoyens. Il s’agirait de faire en sorte que les représentants non seulement des salariés mais également plus généralement des citoyens s’appuient au préalable sur des diagnostics collectifs et directs des populations concernées (pas des référendums), posant ainsi la problématique difficile de la représentativité en général. Est-ce que le simple processus électoral garantit la représentativité, que ce soit dans l’entreprise  ou qu’il s’agisse de la Nation ?

Il n’est pas inutile, à cet égard, de se pencher sur un autre diagnostic : celui d’En Marche !

En Marche a établi un diagnostic du pays à partir des réponses recueillies durant plusieurs mois, auprès de 100 000 concitoyens (donc représentatif des perceptions de l’ensemble des français). Ce diagnostic a été présenté à l’automne 2016.

La Grande Marche, c’est 300 000 portes frappées 100 000 conversations, 600 coordinateurs, 25 000 questionnaires remplis, 3 mois d’échanges d’environ 14 minutes de conversation en moyenne, mais jusqu’à 2 heures.

A noter que les questions étaient ouvertes et ont été traitées de façon innovante avec les nouvelles technologies.

Qu’en remonte-t-il en substance ?

Les principaux ressentis (perceptions) remontant de la Grande Marche sont les suivants

  • les français ont le sentiment d’être devenus inutiles ; pourtant ils veulent croire en leur travail
  • lorsqu’ils sont privés d’emploi, ils ne se sentent pas à leur place dans la société
  • même s’ils ont un travail, ils ne se sentent pas forcément heureux ; ils sont nombreux à souffrir de l’absence de reconnaissance et de perspectives
  • c’est sûrement pour cela qu’en moyenne ils sont absents plus de 3 semaines par an de leur travail

⇒  en France, 21 % des dirigeants des grandes entreprises ont gravi les échelons (contre 68 % en Allemagne) : quelle honteuse exception française, conclut En Marche !

  • les français ont le sentiment que leurs vies sont empêchées : pourtant ils souhaiteraient majoritairement choisir leurs vies et pouvoir rebondir
  • ils trouvent qu’ils sont empêchés socialement : les destins sont scellés par les diplômes…
  • ils se trouvent trop souvent traités comme de simples exécutants, alors qu’ils se sentent avoir été formés pour faire bien plus que cela (45 % des français de 30 ans ont un diplôme du supérieur)
  • en plus d’être empêchés socialement, les français se trouvent empêchés géographiquement : dans une grande agglomération, on ne peut plus acheter sans héritage ; quand on s’éloigne des métropoles, se déplacer devient de plus en plus difficile ; beaucoup vivent loin de l’endroit où ils travaillent. Cela coûte très cher !
  • les français se sentent également empêchés d’évoluer par la bureaucratie. Le système ne répond plus aux besoins et ne prend pas en compte les contraintes de chacun(e) : exemple : pour repasser son permis de conduire, il y a en moyenne 70 jours d’attente

⇒ la France est devenue le plus inégalitaire de tous les pays développés, celui où les résultats à l’école dépendent le plus de l’origine sociale des parents. Même avec toute la bonne volonté du monde, notre organisation sociale actuelle nous fige

  • les français ont de plus en plus souvent peur : ils sont 40 % à vivre avec un budget mensuel ne permettant pas de vivre décemment
  • ils sont concernés non seulement par le terrorisme, mais également par les violences en général et, en particulier vis-à-vis des femmes (9 femmes sur 10 sont victimes de harcèlement sexuel dans les transports en commun)
  • dès qu’il s’agit de mondialisation, de numérique, ou d’environnement, les français en voient bien les risques, mais trop peu les opportunités !

⇒ les français ont de nombreuses peurs et frustrations, mais ils ont envie de vivre pleinement leur vie. En particulier, ils ne se résignent pas à la poursuite des dommages causés à l’environnement

  • les français savent que la laïcité est ce qui permet de vivre ensemble dans notre société, malgré les différences
  • ils pensent que la solidarité, c’est l’ambition d’offrir à tous un accès égal aux biens les plus essentiels, comme la santé
  • ils sont révoltés par les inégalités insupportables
  • ils craignent, individuellement, d’être mal protégés face à des risques particuliers : la dépendance, les soins optiques, dentaires, et beaucoup d’autres encore !
  • ils savent que plus on est pauvres, plus on est exposés à ces risques : il y a jusqu’à deux ans d’écart d’espérance de vie entre ceux qui habitent près d’une station de la ligne B au centre de Paris et ceux qui habitent en bout de cette même ligne
  • il y a aussi une crainte collective sur la pérennité du modèle social
  • Ils pensent qu’il n’y a pas tellement de profiteurs en bas de l’échelle sociale ; et ce n’est pas eux qui coûtent le plus cher à la société, loin de là
  • il y a aussi les cris d’alarme à propos de ceux qu’on oublie collectivement (jeunes, outre-mer, etc…)
  • il y a aussi la crainte des tensions communautaires

⇒ les tensions entre les Français menacent l’unité nationale ; elles restent très largement minoritaires, mais elles débouchent sur des violences croissantes

  • Les français ne se sentent plus représentés : ils jugent que leurs représentants ne leur ressemblent pas assez (en termes de parité, d’activité, de diversité, …)
  • non seulement leurs représentants leur ressemblent peu, mais surtout ce sont presque toujours les mêmes !
  • les français jugent que ce n’est pas normal que les partis qui obtiennent des scores électoraux importants, même si c’est depuis peu, et même si on n’est pas d’accord avec eux, n’arrivent pas à se faire représenter

⇒ les barrières à l’engagement sont trop importantes en général, et encore plus dans les partis traditionnels

  • les français ne supportent plus l’irresponsabilité
  • les français veulent la transparence… qui n’existe pas avec près de 70 codes de loi et une loi tous les 3 jours
  • les français demandent de l’efficacité
  • ils veulent braver les intérêts particuliers : ils sentent le poids des corporatismes qui condamnent à l’inefficacité
  • Ils ne supportent plus le décalage entre les annonces et les réalisations
  • Ils veulent que l’on mesure l’efficacité des lois mises en œuvre

⇒ les français sont fatigués d’être infantilisés ; ils demandent plus de représentativité, plus de responsabilité, plus d’efficacité, et sont prêts à faire leur part : c’est d’ailleurs pourquoi ils sont si nombreux à avoir choisi de satisfaire leur envie d’engagement dans les associations

Ce diagnostic de la très grande majorité des français dessine point par point un pays qui subit. Conclusion : ce qui unit les français, c’est l’envie irrépressible de ne plus subir !

Ce diagnostic est le même que celui conduit depuis plus de 20 ans dans des centaines d’entreprise où des milliers de salariés ont été interrogés par le cabinet BDA dans le cadre de deux questionnaires d’environ 200 questions chacun, portant l’un sur les perceptions des salariés s’agissant du fonctionnement de ces entreprises, l’autre sur les arbitrages qu’ils souhaitent faire concernant l’organisation de leur temps, de leur rémunération, de leur management et de leur participation aux décisions. l

Ces diagnostics rejoignent également celui de la CFDT et ajoutent, si besoin était, ce que chacun peut ressentir : à savoir les limites de la démocratie représentative actuelle (que ce soit en entreprise ou en tant que citoyen), trop formaliste et donc qui ne permet pas de ne pas subir !

Un déficit de démocratie dans l’entreprise et dans la cité

D’où l’idée de certains d’une 6ème république ou, concernant le travail, de recentrer le débat sur la qualité du travail et de la qualité de vie au travail (pas seulement à la CFDT !), mais sans traiter le véritable problème : comment ne pas confier cette tâche à de seuls représentants (constituants, syndicalistes, etc), mais faire en sorte qu’elle reste en permanence sous le contrôle effectif de l’ensemble des citoyens partout où se prennent les décisions.

Attention donc à ne pas confisquer ce débat une fois de plus au profit de nouveaux élus ou de représentants qui risquent rapidement de ne plus représenter que leurs propres idées.

D’où l’idée d’organiser systématiquement des débats participatifs avant toutes décisions partout où cela est nécessaire avec les personnes concernées qui le souhaitent.

Un OVNI politique qui n’est pas forcément compris…

Emmanuel Macron tente quelque chose de nouveau qui n’est pas, ou, très mal compris par les commentateurs, journalistes, économistes, syndicalistes, bref tous les corps intermédiaires, les élites, les politiques traditionnels, tous ceux qui ont une parcelle de pouvoir qu’ils cherchent à défendre jalousement, voire à leur insu, comme le disait un célèbre cycliste…

Ce qu’Emmanuel Macron cherche à faire, c’est redonner la parole aux français, que les solutions partent du bas, qu’elles soient coconstruites en marche, partout où les problèmes sont posés, à l’échelle qui convient, c’est-à-dire notamment dans la subsidiarité (selon Wikipédia, le principe de subsidiarité est une maxime politique et sociale selon laquelle la responsabilité d’une action publique, lorsqu’elle est nécessaire, revient à l’entité compétente la plus proche de ceux qui sont directement concernés par cette action… et donc directement à ces derniers).

Ainsi son refus de décliner un programme dans son discours du 11 octobre 2016 au Mans dont voici un extrait :

« …une limite, que nous avons justement touchée du doigt, c’est (…) le fait que l’on veuille ainsi se jeter dans des propositions (…). Et au fond, (…) dès que je sors on me dit : quelles sont vos propositions sur tel et tel sujets ? Sans être persuadé que ces propositions répondent à un problème et qu’elles sont la priorité, mais pour avoir la proposition qui répond à la proposition d’un autre. Est-ce que dans les propositions récemment dévoilées, dans les propositions nouvelles, les référendums sortis du chapeau, (…), on a le sentiment qu’on répond aux préoccupations profondes du pays ? (…) c’est impossible de prétendre faire de la sorte lorsqu’on ne prend pas le temps d’échanger, de comprendre, d’entendre, et d’essayer de revenir aux causes profondes, parfois de ces malaises, quelques autres fois de ce malheur, en tout cas de ce qui est ressenti comme des injustices, des incompréhensions par nos concitoyens. C’est comme ça qu’on peut construire une action efficace.

Alors, je l’assume, ce jeu ne m’intéresse pas. Je ne vais pas ce soir mettre sur la table telle ou telle proposition, parce que ce que nous avons à construire, ce sont des solutions pour le pays, des solutions à des problèmes identifiés, compris, et dont on a essayé en quelque sorte de reconstituer ensemble la complexité. Parce qu’il ne s’agit pas à chaque fois de simplement répondre au problème, il s’agit de comprendre d’où il vient, de s’apercevoir que la réponse immédiate, la proposition la plus simple n’est pas forcément la plus efficace, celle qui justement, permettait d’apporter une réponse concrète. Et donc, ce que je veux que nous fassions ensemble, ce que nous avons construit ensemble sur la base de ce diagnostic, c’est véritablement de repartir de la vie de nos concitoyens, de leur expérience, pour pouvoir construire. Et repartir de la vie de chacune et chacun d’entre nous, c’est en quelque sorte cette hygiène démocratique à laquelle nous nous sommes livrés, que vous avez permise, et qui est absolument nécessaire.

Parce que, au fond, ce qui doit être le cœur de notre engagement commun, c’est la vie jour après jour, la vie quotidienne, celle qui devrait justement être la pierre angulaire de toute action publique. »

… notamment s’agissant d’un programme, …

Mais s’il n’y a pas à proprement parler de programme, il y a un projet qui consiste à répondre aux différents diagnostics posés par les Français à savoir lancer un vaste mouvement de réformes de l’Etat.

A défaut de changer la Constitution tout de suite, il s’agit de respecter les grands principes démocratiques de portée universelle. Pour cela il faut faire une alliance entre démocrates de droite comme de gauche pour faire principalement trois ordres de réformes essentielles :

  1. diminuer le poids des charges sociales en responsabilisant tous les acteurs avec des citoyens aptes à gérer leurs affaires
  2. faire remonter l‘élan politique de la base vers le sommet (y compris s’agissant de l’Europe) en faisant l’économie des différentes strates administratives et en faisant en sorte que les décisions publiques soient prises au bon niveau
  3. revoir le syndicalisme en modifiant l’actuel dialogue social complètement bloqué

Tous les autres points du « programme » d’Emmanuel Macron devraient être déclinés de la même façon. Ces points devraient être discutés en fédérant les membres des deux bords de l’échiquier politique qui devront se mettre d’accord sur les modalités des réformes nécessaires en réconciliant les français autour de valeurs communes.

Tout cela prendra du temps…

… mais qui suscite, au fond des inconscients, une adhésion forte

Voilà pourquoi il y a un tel engouement, on pourrait presque dire inconscient, pour la proposition d’Emmanuel Macron, voilà pourquoi il y a beaucoup de chances qu’il emporte cette élection parce qu’il est le seul à faire cette proposition, comme nous l’avions dessiné dans un article conçu il y a un peu plus d’un an et proposé à la publication des Echos, qui ne l’a pas retenu…

Puisse Emmanuel Macron ne pas dévier de cette voie sous la pression des différents lobbies et ralliements qui n’ont pas compris cette démarche de fond, pression qui ne cessera pas de continuer de monter après le 7 mai 2017.

Les élections législatives et les propositions d’En Marche pour renouveler le personnel politique sont une étape supplémentaire pour avoir des représentants élus non partisans qui pourraient mettre en place ces réformes de fond…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *